2025 : L’Occident perd-il le monopole de la paix ?

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Occident, au sens large, c’est-à-dire les États-Unis et leurs alliés européens, s’est imposé comme le principal acteur de la stabilité mondiale. Forts de leur victoire militaire, de leur poids économique et de la création d’un ordre multilatéral fondé sur des institutions comme l’ONU, l’OTAN ou l’Union européenne, ces États ont longtemps incarné une diplomatie active, interventionniste, souvent dominante. Qu’il s’agisse d’imposer un cessez-le-feu, de reconstruire un État après un conflit, ou de convoquer les belligérants autour d’une table, les regards se tournaient vers Washington, Paris, Londres ou Bruxelles. Mais depuis une quinzaine d’années, ce schéma s’effrite. Les grandes interventions occidentales ont montré leurs limites. Leur efficacité est contestée, leur légitimité remise en cause, et surtout, leur prétention à incarner un modèle universel de paix est aujourd’hui fortement critiquée. En parallèle, des puissances non occidentales (Chine, Qatar, Turquie, Afrique du Sud, Brésil), se sont imposées dans des processus de médiation majeurs, gagnant en crédibilité là où l’Occident peine à convaincre. En 2025, une nouvelle réalité se dessine, celle d’un monde où la paix n’est plus monopolisée, mais discutée, négociée, et même réinventée en dehors des capitales occidentales. Ce basculement est-il un épiphénomène ou une véritable redéfinition de la diplomatie mondiale ?
I - Un modèle diplomatique occidental en perte de souffle
Pendant plus d’un demi-siècle, l’Occident s’est imposé comme le faiseur de paix par excellence. Cette position dominante s’expliquait à la fois par sa puissance militaire (capacité d’intervention rapide), son réseau d’alliances globales, et une prétention morale à incarner les valeurs de la démocratie libérale, des droits de l’homme, de l’économie de marché et de la sécurité collective. Des accords d’Oslo à ceux de Dayton, de l’intervention au Kosovo à la reconstruction de l’Irak, l’Occident dirigeait, finançait et organisait les grandes opérations diplomatiques. Mais ce modèle s’est progressivement fragilisé. Les échecs militaires en Irak, en Afghanistan ou en Libye ont illustré les limites d’une diplomatie fondée sur l’usage de la force. Les pays que ces interventions étaient censées stabiliser ont souvent sombré dans encore plus de désordre, ce qui n’a fait qu’alimenter les critiques, surtout dans les pays du Sud. À cela s’ajoute une crise de légitimité morale, le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël dans le conflit à Gaza, malgré les dizaines de milliers de morts civils et les violations documentées du droit international, ou encore le silence occidental face à certains régimes autoritaires « alliés », ont nourri l’accusation de « double standard ». L’Occident défend les droits de l’homme… mais seulement quand ça l’arrange. De plus en plus de pays, en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, remettent en cause l’idée que le modèle occidental serait valable pour tout le monde, avec l’image d’un héritage colonial et d’une présence extérieure un peu trop envahissante. Ça se reflète dans les votes à l’ONU, dans les prises de position régionales, mais aussi dans les opinions publiques qui voient désormais l’Occident non plus comme un arbitre neutre, mais comme un acteur parmi d’autres.
II - L’émergence de nouveaux médiateurs : vers une diplomatie polycentrique
Dans le vide laissé par le recul occidental, de nouvelles puissances s’affirment. Non pas en tant que rivales militaires, mais en tant que médiateurs, négociateurs. Le Qatar en est un exemple
emblématique. Ce petit État du Golfe, longtemps considéré comme un acteur secondaire, a su se construire une image de médiateur global, capable de dialoguer à la fois avec les États-Unis, le Hamas, l’Iran ou les talibans. En 2023 et 2024, Doha a organisé plusieurs trêves temporaires entre Israël et le Hamas, facilité la libération d’otages, et coordonné des couloirs humanitaires, autant de gestes concrets là où d’autres se contentent de condamnations formelles. La Chine, quant à elle, joue une carte encore plus stratégique. En mars 2023, elle réussit un coup diplomatique majeur en réconciliant l’Arabie saoudite et l’Iran, deux puissances ennemies depuis des décennies. Ce geste, symbolique et stratégique, montre que Pékin entend désormais peser dans les équilibres sécuritaires du Moyen-Orient. La Chine s’efforce également de proposer une alternative au modèle américain : une diplomatie sans condition politique, sans leçons de morale, mais fondée sur les intérêts communs et la stabilité régionale. D’autres puissances suivent cette logique, comme la Turquie, qui s’impose comme médiateur dans le Caucase ou entre Kiev et Moscou, l’Afrique du Sud, qui tente de promouvoir une solution diplomatique à la guerre en Ukraine au nom du « Sud global », ou encore le Brésil, qui revendique un rôle de pacificateur au sein de l’Amérique latine. Cette diplomatie multipolaire repose sur une idée forte : la paix n’appartient à personne, et chacun peut contribuer à la faire selon ses outils, sa légitimité, et son positionnement géopolitique. Le
monopole moral de l’Occident s’efface devant des formes plus souples, plus inclusives, parfois plus efficaces de diplomatie.
III - La paix comme instrument stratégique : vers une redéfinition du pouvoir
Faire la paix n’est jamais neutre. Dans les relations internationales, la capacité à faire cesser un conflit, à influencer des négociations, à offrir un cadre à des discussions sensibles, est un outil de puissance aussi décisif que l’arsenal militaire ou l’influence économique. Ce que les puissances émergentes ont compris, c’est que la paix est un levier d’influence. Elle permet de gagner du prestige international, de renforcer des alliances, d’élargir son réseau diplomatique, ou de sécuriser ses intérêts économiques. En proposant ses services comme médiateur, le Qatar améliore son image dans le Golfe tout en pesant dans les conflits régionaux, par exemple la Chine sécurise ses routes de la soie en promouvant la stabilité dans les zones qu’elle traverse, la Turquie renforce son statut de puissance régionale, notamment vis-à-vis des pays turcophones d’Asie centrale. La paix devient donc un investissement stratégique, un élément de soft power qui sert des objectifs très concrets. Mais cette nouvelle configuration soulève aussi des questions éthiques et pratiques : que vaut une médiation menée par des régimes autoritaires ? Peut-on parler de paix durable lorsqu’elle est fondée uniquement sur des rapports de force, sans garanties démocratiques ou institutionnelles ? Même si certaines médiations semblent efficaces sur le moment, cela ne doit pas faire oublier les tensions profondes ni le fait que les accords obtenus en urgence restent souvent très fragiles.
Le monde de 2025 n’est plus celui d’une diplomatie à sens unique. L’Occident, s’il continue à jouer un rôle important, n’a plus le monopole de la paix. La diversité des médiateurs, la montée en puissance des BRICS, l’irruption de nouvelles formes de négociation montrent que la paix devient un bien partagé, disputé, parfois même instrumentalisé. Cette transformation peut être l’occasion d’un rééquilibrage plus juste des rapports Nord-Sud, d’un retour au dialogue multilatéral, et d’une diplomatie plus respectueuse des réalités locales. Mais elle comporte aussi des risques, comme les rivalités d’influence, l’absence de cadre commun, ou encore la marchandisation des processus de paix. L’enjeu des prochaines années ne sera donc pas seulement de savoir qui fait la paix, mais comment, pour qui, et à quelles conditions. L’Occident n’a pas disparu, il doit maintenant apprendre à négocier non plus seul, mais avec les autres, dans un monde où la paix ne se décrète plus, elle se partage.
Ritej El Mezoued
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