Alpha (2025): Julia Ducournau explore l’adolescence et le trauma

Retour attendu sur la Croisette

Quatre ans après sa Palme d’or pour Titane, Julia Ducournau revient en 2025 en compétition officielle à Cannes avec Alpha. Troisième long-métrage de la cinéaste, le film confirme son goût pour les récits organiques et transgressifs, où les corps deviennent le miroir des peurs collectives et des mutations intimes.

Tourné à l’automne 2024 en Normandie et au Havre, Alpha ancre son intrigue entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, période encore marquée par l’épidémie du sida et ses stigmates sociaux. La réalisatrice choisit d'aborder ce contexte à travers le regard d’une adolescente, dans une fable aussi dérangeante que mélancolique.

 

Une fable sombre et intime

Le film suit une jeune fille de treize ans, surnommée Alpha, qui vit seule avec sa mère, médecin dans un service hospitalier clandestin. Les patients qu’elle soigne souffrent d’une mystérieuse maladie sanguine qui les transforme en statues de marbre.
Quand l’adolescente revient un jour de l’école avec un tatouage, sa mère craint qu’elle n’ait été contaminée. Dans le même temps, l’oncle Amin, toxicomane et séropositif, s’invite dans le foyer, fragilisant d’autant plus  un équilibre familial déjà précaire.

Alpha tisse ainsi une parabole autour de la contamination, de la peur de l’hérédité, et de l’entrée dans l’adolescence. Julia Ducournau ne nomme jamais le sida, mais en fait ressentir l’ombre à travers le corps, la métamorphose et le silence qui entoure la maladie.

 

Une distribution engagée

Le film repose sur des interprètes très investis. Mélissa Boros incarne Alpha adolescente, épaulée par Ambrine Trigo Ouaked pour les scènes d’enfance. Golshifteh Farahani joue la mère, tiraillée entre la protection de sa fille et la hantise de la contagion. Tahar Rahim, bouleversant dans le rôle de l’oncle Amin, a perdu près de 20 kg pour donner corps à ce personnage abîmé par la drogue et la maladie. Autour d’eux gravitent Emma Mackey, Finnegan Oldfield et Louai El Amrousy dans des seconds rôles qui enrichissent l’univers du film.

Corps, peur et héritage

Avec Alpha, Ducournau creuse ses thèmes de prédilection :

  •     Le corps comme territoire : la peau tatouée, le sang malade, les corps pétrifiés incarnent la peur et la mémoire du trauma.
  •     L’adolescence comme passage : Alpha doit grandir dans un monde rongé par l’angoisse, trouver une place entre protection maternelle et liberté menaçante.
  •     L’allégorie du sida : jamais nommé, le virus imprègne tout le récit comme une présence diffuse, symbole d’une génération marquée par la peur de la transmission.

Réception contrastée à Cannes

À Cannes, l’accueil fut partagé. Certains critiques ont salué l’audace visuelle, la radicalité de l’approche et l’émotion brute de ses acteurs. Ils voient dans Alpha une œuvre imparfaite mais sincère, capable de raviver la mémoire du trauma du sida. D’autres ont pointé du doigt un scénario confus, une surcharge symbolique et une narration trop éclatée pour convaincre pleinement. The Guardian a parlé d’« absolute gamma », Vulture d’un film « aussi frappant que désordonné ».

Avec Alpha, Julia Ducournau signe une œuvre profondément personnelle, hantée par la mémoire du sida et par les questions de transmission. Moins maîtrisé que Titane, plus fragile que Grave, le film s’impose néanmoins comme un geste de cinéma singulier : celui d’une cinéaste qui continue de scruter l’adolescence, le corps et ses métamorphoses, au risque de se heurter à l’incompréhension de la critique.