DONALD TRUMP: VERS UN MUSELLEMENT DE LA CRITIQUE ?

            « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion; ou qui restreigne la liberté de parole, ou de la presse; ou le droit du peuple de s’assembler paisiblement, et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs », tel est le Premier Amendement de la Constitution des États-Unis de 1791, celui-ci est  considéré comme la garantie essentielle de la démocratie américaine. Il protège la liberté  religieuse, garantit la liberté de chacun d’exprimer ses opinions, même critiques envers le  gouvernement, ainsi que la liberté de la presse, les journalistes peuvent publier sans censure du  gouvernement. Il accorde également le droit de réunion et de pétition, lesquels autorisent les  citoyens à se rassembler pacifiquement et adresser leurs demandes ou réclamations au  gouvernement sans représailles. 

 

 Longtemps interprété comme absolutiste cet amendement autorise théoriquement tout  propos, il est donc possible de mentir, de proférer des paroles racistes ou antisémites sous le  parapluie protecteur du premier amendement. Seuls sont sanctionnés les propos incitant  à commettre des actes violents et dangereux de manière imminente, la diffamation ou calomnie et  tout discours lié à la sécurité nationale qui mettrait en danger le pays. C’est la doctrine  jurisprudentielle du « danger clair et immédiat » (« clear and present danger »). 

Alors que Donald Trump s’est vu être réélu puis investi pour un deuxième mandat le 20  Janvier 2025, le retour à la maison blanche du chef des républicains témoigne d’une politique  agressive qui marque une volonté de main mise sur les institutions du pays.

 

Poursuivant ses  attaques contre la presse américaine, les comédiens et toutes oppositions. La liberté de la presse  et d’opinion est-elle en danger face à l’administration Trump ?  

 

Chaque soir ce sont des millions d’américains qui se trouvent face à leurs télévisions  regardant les typiques « late show », malgré un détachement des 18-34 ans de ces émissions  télé, préférant des formats courts sur YouTube ou TikTok, les audiences parviennent à se stabiliser  autour des 2 millions de téléspectateurs par soir (en Q2 en 2025: environ 2,42 millions pour The Late Show with Stephen Colbert, environ 1,88 millions pour The Tonight Show Starring Jimmy Fallon ou environ 1,77 pour le Jimmy Kimmel Live !). Ces rendez -vous quotidiens se sont  imposés depuis les années 1950 comme le lieu de critiques politiques et sociales, dans un  premier temps via des spectacles tel Lenny Bruce qui commence sa carrière comme comédien  de cabaret avec un style qui tranche radicalement avec l’humour classique de l’époque, abordant  politique, religion, sexe, drogue, racisme et hypocrisie sociale. Naissent de là les truth-teller: ces  comédiens qui osent dire la vérité par leurs blagues, même si elle est dérangeante ou  impopulaire. Face à cette place importante de ces humoristes et de leurs télé show, les politiques  ont dû s’adapter et y participer. En 1968, c‘est le républicain Richard Nixon qui lance le pas  apparaissant dans l’émission de la chaine NBC: Rowan & Martin’s laugh-in.  

 

Ces late show, en réel terrain démocrate n’hésitent pas à vivement critiquer le parti  républicain, aujourd’hui au pouvoir. Des blagues qui ne font pas du tout sourire Donald Trump. Ce  dernier s’armant également de ces tweets pour ne pas hésiter à répondre à ses instigateurs, le 7  octobre 2017 il écrivait sur Twitter: « les animateurs de late-night travaillent avec les Démocrates pour leurs propos peu drôles et répétitifs, toujours anti-Trump ! Devrions-nous avoir un temps d’antenne égal ? ». Depuis la réélection de Trump à la Maison Blanche, le duel Trump-late show  s’est surenchéri, l’humoriste Stephen Colbert en a payé le prix. Présentant The Late Show with Stephen Colbert depuis 2015 sur la chaine CBS, cette dernière a annoncé le 17 juillet qu’elle  mettrait fin à l’émission en mai 2026, Paramount, maison mère de CBS invoque des raisons  financières. Cependant cet argument ne tient pas la route, avec environ 2,42 millions de  spectateurs par soir, le late show ne montre pas de signes de faiblesse selon l’audimat. En  parallèle de ce licenciement, c’est le procès entre CBS et Trump à propos d’une interview dans  l’émission 60 Minutes entre Kamala Harris et Donald Trump qui faisait la une. Le président  accusait la chaine d’avoir modifié l’interview en sa défaveur, un contentieux se résultant par le  versement de 16 millions de dollars par Paramount. Mais en interne se joue également au même  moment l’acquisition de Paramount pour 8 milliards de dollars par les studios Skydance, société  dirigée par David Ellison, fils de Larry Ellison, soutien de la première heure et grand allié de Trump.  Stephen Colbert a réagi face au versement des 16 millions de dollars: « je crois que ce genre de règlement financier complexe avec un responsable gouvernemental en exercice a un nom technique dans les cercles juridiques. Ça s’appelle un bon gros pot-de-vin » a-t-il déclaré,  insinuant que la chaine a préféré payer, au lieu de défendre son intégrité éditoriale afin d’éviter  des conflits avec le président et permettre la vente du groupe qui devait être validé par le  gendarme des marchés américains (le SEC sous contrôle présidentiel après la signature d'un  decret (Exécutive Order 14215) étendant son pouvoir sur les agences dites « indépendantes »  comme la SEC ou la FCC). Un versement affirmant encore la soumission des médias américains  face au 47e présidents des États-Unis. CBS de son coté a déclaré qu’il n’y aurait pas de  remplaçant et que le late-show qui berce le soir des américains depuis 1993 serait supprimé.  Donald Trump a lui aussi réagit au licenciement de Colbert le 18 juillet sur sa plateforme Truth  Social: « J’adore absolument que Colbert ait été viré. Son talent était encore plus faible que ses audiences. J’entends dire que Jimmy Kimmel est le prochain. Il a encore moins de talent que Colbert ! », Stephen Colbert a répondu lors de son émission par un simple « Va te faire voir », lui  qui dénonce une « culture de l’annulation », critiquant le caractère arbitraire et politique de son  licenciement, laissant entendre que l’annulation de l’émission n’est pas que basé sur ses  audiences mais aussi sur des pressions internes.  

 

La guerre lancée contre les late-show n’en finit plus, puisqu’après Stephen Colbert, c’est  au tour de Jimmy Kimmel. Le présentateur star du Jimmy Kimmel Late Show !, présenté 5 soirs  par semaine sur ABC, propriété Disney, le présentateur s’est vu être privé d’antenne « pour une durée indéterminée » a déclaré la chaine. Cette suspension fait suite aux propos de Jimmy  Kimmel accusant le clan Trump d’exploiter politiquement l’assassinat de l’influenceur d’extrême  droite Charlie Kirk. Il avait déclaré lundi soir: « Nous avons atteint de nouveaux sommets ce week end, avec la clique MAGA [Make America great again, nom du mouvement de Trump] qui s’efforce désespérément de présenter ce jeune qui a assassiné Charlie Kirk comme quelqu’un d’autre qu’un des leurs et qui fait tout son possible pour en tirer un avantage politique ». Ces propos ont suscité  de vives réactions, Brendan Carr, nommé par Trump à la tête du FFC (Commission fédérale des  communications), le gendarme des telecoms américains, a exhorté les diffuseurs locaux de  cesser de diffuser l’émission de Jimmy Kimmel, quelques heures plus tard ABC annonçait la  suspension pour durée indéterminée du late show. Une décision louée par Trump, en réel bras de  fer avec les médias, le président n’appréciait pas les critiques successives de l’humoriste sur sa  politique depuis de nombreuses années: en 2019 « Trump veut construire un mur. Eh bien, je veux construire un mur autour de sa tête pour l’empêcher de dire des bêtises », en 2021 suite aux  propos de Trump justifiant l’usage de désinfectant pour traiter le COVID-19 « Trump a suggéré d’injecter du désinfectant. Eh bien, il a déjà injecté suffisamment de bêtises dans son discours »,  en 2022 après que Trump ait retiré les États Unis de l’Accord de Paris « Trump veut quitter l’Accord de Paris. Eh bien, il devrait peut-être quitter la Maison Blanche aussi », plus récemment le  12 mars 2025 concernant les coupes budgétaires massives dans le service public « Trump, en réalité, il a Thanos-isé (référence au super-méchant Marvel: Thanos qui supprime la moitié de  l’univers d’un claquement de doigt) le département de l’Éducation. Au revoir, la moitié du département de l’Éducation… Il est au dessus des lois. Comme Steven Seagal avec plus de ventre, si vous voulez. », Steven Seagal connu pour ses rôles dans des films d’action où il est  invincible. Trump a donc réagit avec fierté louant une « excellente nouvelle pour l’Amérique » suite  à cette mise au pied de l’humoriste d’ABC et félicitant la chaine « d’avoir enfin eu le courage de faire ce qui devait être fait. Kimmel n’a AUCUN talent » déclare-t-il sur son réseau social Truth  Social et appelant la chaine NBC à licencier dans la foulée Jimmy Fallon et Seth Meyers, deux  autres grands humoristes de la scène late-show.  

 

Ce licenciement de Kimmel a mené à de nombreuses réactions chez la gauche  américaine, Chuck Schumer, le chef du groupe démocrate au Sénat, a aussi dénoncé une  décision « scandaleuse» : «Trump et ses alliés semblent vouloir faire taire les discours qui ne leur plaisent pas. Ce n’est pas ainsi que fonctionnent les démocraties. C’est ce que font les dictateurs. C’est ce que ferait Xi. C’est ce que ferait Poutine. Nous ne sommes pas ce genre de pays».  

Car plus qu’une lutte contre les humoristes qui par faute d’autodérision et d’acceptation  de la critique ne font pas rire Trump, c’est une lutte contre les médias qui se joue aux États Unis.  Le président multipliant les procès à leur encontre. ABC avait accepté de verser 15 millions de  dollars en décembre 2024 pour le financement « d’une fondation et un musée » dédiés au  président américain afin d’éviter un procès en diffamation, après qu’un des présentateurs  vedettes de la chaine, George Stephanopoulos, avait affirmé que Donald trump avait été jugé  « responsable de viol » lors d’un procès lié à l’affaire E. Jean Carroll, or Trump qui a bien été  reconnu coupable dans cette affaire de 2023, mais non pour viol mais pour agression sexuelle. La  chaine et le présentateur avaient alors présenté des excuses publiques, stipulant « regretter les affirmations ». Ce fut également le cas de CBS attaqué fin octobre 2024, accusant la chaine  d’avoir modifié l’interview en la faveur de Kamala Harris et avait alors réclamé 20 milliards de  dollars de dommages et intérêts. Paramount, maison mère de CBS avait alors versé 16 millions  de dollars à destination de la future bibliothèque présidentielle pour mettre un terme aux  poursuites judiciaires. En interne deux cadres de la chaine ont démissionné, le producteur Bill  Owens en avril, déplorant des atteintes à son indépendance, puis en mai la patronne de CBS  News, Wendy McMahon. Ce 15 septembre 2025, c’est au tour du New York Times de subir les  attaques incessantes de Trump sur les médias américains, ce sont 85 pages de plaintes  déposées contre le quotidien, auquel il réclame 15 milliards de dollars qu’il poursuit pour  diffamation, «Le New York Times a été autorisé à mentir, calomnier et me diffamer librement pendant beaucoup trop longtemps, et cela s’arrête, MAINTENANT ! » déclare-t-il sur Trush Social,  qualifiant le quotidien de « l’un des pires et des plus dégénérés journaux de l’histoire de notre pays ». Il assure avoir transmis cette plainte à un juge fédéral en Floride, or quelques jours suivant  le dépôt de plainte, le 19 septembre, ce même juge a rejeté la plainte en diffamation, la déclarant  « inappropriée et irrecevable » lui accordant quatre semaines pour la reformuler. Une action en  justice qu’avait jugée « dénuée de fondement » le prestigieux quotidien américain, affirmant  qu’ « elle ne repose sur aucune revendication juridique légitime et vise uniquement à museler et à décourager le journalisme indépendant ». Trump fait de la diffamation son arme favorite contre les  médias américains, demandant des sommes astronomiques de dommages et intérêts et faire  pression sur la liberté journalistique.  

 

Outre le musellement de la presse, c’est aussi un musellement des opinions des citoyens  qui se joue. Suite au meurtre de Charlie Kirk, le pays se retrouve toujours autant bipolarisé qu’il ne  l’était. Donald Trump a annoncé mettre les drapeaux en berne en hommage au jeune activiste  d’extrême droite, une action inédite alors que les victimes des nombreuses fusillades dans les  écoles n’ont pas eu le même traitement (environ 332 fusillades dans les écoles en 2024). Le  president reprend cette assassinat à son avantage, montrant que le pays est face à un ennemi de  l’intérieur, faisant de Charlie Kirk un martyr, que la violence est omniprésente et justifiant alors  l’envoi de la garde nationale à Washington, Los Angeles et prochainement à Memphis et Chicago.  Hormis la récupération politique de Donal Trump, c’est une chasse aux sorcières contre ceux qui  auraient osé proférer des propos jugés irrespectueux envers l’activiste d’extrême droite. Ce sont  alors des employés de diverses entreprisses qui se sont vus être licenciés suite a des messages  publiés sur les réseaux sociaux. Des pilotes des compagnies aériennes Delta Air Lines, United  Airlines et American Airlines en ont fait l’objet, le secrétaire américain aux Transports, Sean Duffy  s’est réjoui de ces licenciements, « Ce comportement est dégoûtant et ils devraient être renvoyés. Toute entreprise responsable de la sécurité des voyageurs ne peut tolérer un tel comportement. Nous guérissons en tant que pays lorsque nous envoyons le message que glorifier la violence politique est TOTALEMENT INACCEPTABLE ! ». Ce sont également des professeurs d’université,  des journaliste et des membres des services secret qui ont reçu leur lettre de licenciement pour  les même raisons. J. D Vance, le vice president américain a lui déclaré dans le podcast quotidien  qu’animé M. Kirk, The Charlie Kirk Show, « Dénoncez-les, et tant pis, appelez leur employeur ». Le  député de Floride, Randy Fine a lui publié sur X: « je demanderai leur licenciement, le retrait de leur financement et la révocation de leur licence », tout en demandant que ces personnes « soient exclues de la société civile ». Ces licenciements ont suscité de vives critiques des défenseurs de  la liberté d’expression et de la protection des employés. Ces renvois démontrent de la main mise  du pouvoir et de la pression exercée; Risa Lieberwitz, directrice du Workers' Institute de  l'université Cornell analyse que ces licenciements « reflète la crainte qui existe actuellement aux États-Unis de représailles de la part de l'administration Trump pour ne pas adhérer à son programme politique ». 

 

Trump et son administration semblent mettre la liberté de la presse et d’expression au  second plan de ses intérêts économiques et politiques, refusant toutes critiques à son encontre. Il  a lui même indiqué à bord de son avion en provenance du Royaume-Uni ce 18 septembre 2025,  l’hypothèse d’une suspension des licences pour les chaînes qui le critiqueraient, « Ils ne me font que de la mauvaise publicité. Ils ont une licence, peut-être que cette licence devrait être retirée. Ça sera la décision de Brendan Carr (patron du FCC) ». Les attaques contre la presse s’avèrent  totalement explicite, la liberté de la presse et d’expression se trouvent plus menacées que jamais  aux États-Unis.  

 

Mathys MAXIMILIEN GARCIA

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