L'Herbe, un projet florissant

 

Nous rappelons que l’usage de produits stupéfiants tels que le cannabis est dangereux et interdit par la loi. Cet article ne vise pas à encourager sa consommation ni celle de toute autre substance.



Le 18 juin 1976, soit quelques jours avant que les Pays-Bas ne deviennent le premier pays européen à dépénaliser le cannabis, des intellectuels et autres célébrités françaises tels que Bernard Kouchner, Isabelle Huppert ou Gilles Deleuze lançaient « l’appel du 18 joints ». Assurément avant-gardiste, cette pétition dénonçait déjà un État qui détournait le regard sur un enjeu sociétal majeur. À rebours de cette ferveur progressiste, le Parlement a adopté le 29 avril 2025 la « proposition de loi visant à faire sortir la France du piège du narcotrafic ». À l’image de toutes les réponses politiques françaises contre le trafic de stupéfiants, cette loi projette un renforcement de la répression sans laisser place à la prévention, l’accompagnement et la réinsertion des usagers et dealers, pourtant essentiels. En effet, le 17 février 2025, les députés Antoine Léaument (La France Insoumise) et Ludovic Mendes (Ensemble Pour la République) ont déposé un rapport d’information « visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants ». Les deux élus y critiquent la politique du tout répressif, jugée inadaptée aux réseaux de trafic modernes, trop peu axée sur la prévention et dépourvue d’une stratégie de libéralisation progressive et contrôlée. 

Face à l’échec cuisant des mécanismes de coercition, le débat s’ouvre sur une possible dépénalisation, voire légalisation. En effet, la dépénalisation, selon le seuil de permissivité, peut empêcher le consommateur d’être puni pénalement et même le protéger de toute sanction, sans pour autant octroyer officiellement le droit d’usage du cannabis. La légalisation, quant à elle, autorise la consommation, la détention et surtout la vente. Plus qu’une mesure politique, cette avancée sociétale se trouve galvanisée par l’élan progressiste qui touche les puissances occidentales, à l’instar du Canada ou de l’Allemagne. Néanmoins, la France, encore en retard, peut s’inspirer des pays voisins pour projeter la libéralisation, elle qui compte plus de 5 millions d’usagers par an selon l’OFDT (observatoire français des drogues et des tendances addictives). Pourtant, elle s’entête à vouloir interdire l’usage du chanvre alors même que le pays est premier au classement européen en matière de consommation, paradoxalement avec une des répressions les plus importantes. 

 

Une répression trop chargée 

Du producteur au consommateur en passant par le dealer et le guetteur, tout le monde est visé. L’arsenal législatif ne cesse de se renforcer pour une demande qui, elle, ne faiblit pas. Selon l’OFDT la France compte 1,4 million d’usagers réguliers dont 900 000 usagers quotidiens, des chiffres qui stagnent depuis 2014. Pour autant, les mécanismes punitifs ont été modifiés entre temps. Si l’usage de produits stupéfiants demeure un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende, l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) a, elle, été élargie aux produits stupéfiants en 2020. Elle permet aux autorités de punir les majeurs non récidivistes, auteurs de la seule infraction d’usage de stupéfiants, d’une simple amende de 200 € évitant une procédure pénale longue, coûteuse et contraignante. Ainsi, 75 000 affaires d’usage illicite de stupéfiants ont été recensées en 2019, avant l’élargissement de l’AFD. En 2021, on n’en décompte plus que 38 000, mais accompagnées de 106 000 amendes forfaitaires délictuelles. L’AFD a donc permis de doubler le nombre de réponses pénales, mais à quel prix ? C’est simple, étant donné que l’AFD peut être minorée à 150€ si payée directement, son montant équivaut à celui de 15 grammes de cannabis selon les prix actuels du marché. Une somme dérisoire qui traduit, en réalité, l’impuissance des pouvoirs publics face à l’augmentation de la consommation. 

En l’occurrence, on dope la répression sans garantie de pédagogie ou de prévention. Au contraire, l’introduction de l’AFD a simplement entravé le recours aux procédures efficaces permettant aux procureurs d’orienter les consommateurs vers des structures de soin ou de prévention. C’est le cas des stages de sensibilisation, dont le prononcé a diminué de 75% entre 2019 et 2023, ou encore des injonctions thérapeutiques dont le prononcé a diminué de 42% dans le même intervalle, alors qu’elles permettaient de gérer les problèmes d’addiction. 

En parallèle de cet acharnement vain sur les consommateurs, les trafiquants sont de plus en plus ciblés. Le projet de loi sur le narcotrafic tente de s’adapter aux réseaux modernes, s’appuyant partiellement sur les propositions du rapport d’information d’A. Léaument et L. Mendes. On s’attaque enfin aux commerces qui blanchissent l’argent de la drogue ou aux cryptomonnaies, largement utilisées par les réseaux criminels, on crée le Parquet National Anti Criminalité Organisée (PNACO) et on élargit les prérogatives des services de renseignement. Malheureusement, ce projet, soutenu conjointement par le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux, par ses mesures, renforce la stigmatisation des petits trafiquants et, plus généralement, des habitants des banlieues, tout en portant atteinte aux droits et libertés des individus. Heureusement, les mesures les plus liberticides ont été modifiées en commission mixte paritaire, comme l’accès aux messageries cryptées. Néanmoins, le texte, largement adopté par les deux chambres, prévoit toujours la possibilité pour l’Etat d’engager une procédure d’expulsion du logement social, à la place du bailleur, s’il constate « des agissements en lien avec des activités de trafic de stupéfiant ». Une formulation nébuleuse qui servira sans doute à justifier les expulsions arbitraires de familles entières, qui, au lieu de se trouver exclues du banditisme, se verront définitivement ostracisées et radiées de notre société.

 

Obsession du joint, la fumée qui cache la poudre

Le cannabis est une drogue dont la forme, résine ou herbe, n’influe ni sur les effets dangereux ni sur les symptômes nocifs. Pour autant, rares sont les dits effets qui soient étrangers à la consommation d’alcool ou de tabac. D’ailleurs, selon l’observatoire français des drogues et des tendances addictives, on compte, en 2019, 41 000 morts de l’alcool et 73 000 morts du tabac, contre 1 200 morts de drogues illicites. Difficile de dire s’il est préférable d’être ivre ou défoncé. D’autant plus que le cannabis présente des vertus médicales rares. Celles-ci sont constatées en France depuis l’expérimentation du cannabis thérapeutique lancée en 2021 permettant de soigner des formes d’épilepsie sévères, des douleurs chroniques ou encore de soulager des effets secondaires de la chimiothérapie. Initialement prévue jusqu’en décembre 2024, l’expérimentation a d’abord été prolongée jusqu’en 2025 avant d’être à nouveau étendue jusqu’en mars 2026. Des entreprises comme Overseed préparent déjà la légalisation, ayant investi plus de 8 millions d’euros depuis 2021 dans le développement d’une filière pharmaceutique 100% française dédiée au cannabis médical. Pourtant, l’échéance fatale est constamment repoussée. 

Néanmoins, les bénéfices du chanvre sont reconnus. Ses deux principaux composants sont le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Si le premier présente un fort pouvoir addictogène, le second possède des propriétés anxiolytiques, relaxantes ou sédatives. C’est pourquoi le CBD est légal en France depuis janvier 2022. D’ailleurs, un des enjeux de la légalisation aujourd’hui est la composition du cannabis. En quinze ans, la teneur moyenne en THC de la résine de cannabis a presque triplé pour atteindre 26% en 2018, tandis que celle de l’herbe a augmenté pour atteindre plus de 11%. Sans compter sur la qualité du produit vendu par les narcotrafiquants, sa composition renforce le danger associé à la consommation, ce que l’Etat pourrait contrôler pour protéger 1,4 million de Français. La France pourrait surtout faire le choix de préserver sa population de l’usage d’autres drogues dites « dures », dont la demande augmente drastiquement. En 2017 on recense 600 000 usagers annuels de cocaïne contre 1,1 million aujourd’hui. L’Etat se doit d’être intransigeant sur ces drogues comme le MDMA, l’ecstasy ou l’héroïne dont l’accès est devenu bien trop facile. Légaliser le cannabis permettrait de focaliser les ressources douanières, policières et judiciaires pour empêcher la prolifération de ces drogues qui menacent notre société. Indéniablement, elle engendrerait également la « ringardisation » d’un produit dont la prohibition stimule la demande d’une certaine frange de la société.

 

Vers la légalisation, couper l’herbe sous le pied des trafiquants 

La France peut profiter de son retard pour copier sur ses voisins, ou à l’inverse apprendre de leurs erreurs. En ce sens, le Canada, qui a légalisé le chanvre en 2018, s’érige en exemple. Tout d’abord, le marché noir a été asséché. À la mi-2023, 70% du cannabis consommé provenait d’une source légale. En effet, la légalisation ne met pas un terme au narcotrafic. Ainsi, les pouvoirs publics doivent réguler les prix afin de les rendre très attractifs. Avec un prix bas et une qualité élevée, les consommateurs se tourneront vers l’offre légale. L’accessibilité doit également être facilitée. En Allemagne, se procurer du cannabis demeure trop compliqué malgré sa légalisation le 1er avril 2024. À cause de la commission européenne, l’Allemagne n’a pas pu autoriser la vente de cannabis et ce sont des associations à but non lucratif qui en assurent l’approvisionnement. Or, la complexité administrative de cette voie d’acquisition décourage les consommateurs, surtout occasionnels. La France, en cas de projet de légalisation, devra donc aller au bras de fer avec les institutions européennes pour assurer la commercialisation officielle du cannabis.  De plus, au Canada, le fardeau du narcotrafic qui pesait sur les instances judiciaires, pénales et policières a été largement allégé. Entre la suppression du délit de consommation ou de possession (jusqu’à un certain seuil à définir), qui représente toujours en France 38 000 cas et la baisse du nombre et de l’importance du trafic, voilà une solution efficace pour lutter contre le banditisme, l’engorgement judiciaire et la surpopulation carcérale. Par ailleurs, si les risques d’augmentation de l’usage semblent justifiés, ni le Canada ni l’Allemagne n’ont constaté d’explosion de la demande. Elle tend même à diminuer au Canada depuis quelques années. La France, comptant un nombre important de consommateurs et peinant déjà à éviter le trafic, ne devrait pas faire exception. 

Il faut également y voir une opportunité économique sur un marché lucratif, même si ce qui importe est l’enjeu sanitaire, éthique et sociétal. Or précisément, faire entrer cet argent sale dans le circuit économique légal permet d’asséner un coup aux réseaux criminels. Puisque les dangers et risques de la légalisation sont limités, comme constaté chez nos voisins étrangers, il est possible de battre le trafic autrement que par la répression. La légalisation entraînerait une concurrence commerciale entre l’Etat et les narcotrafiquants qui perdraient forcément. Au Canada on évalue à 150 000 le nombre d’emplois créés par la légalisation et à 11 milliards de dollars les chiffres de la vente, sans compter sur le dopage du PIB canadien de plus de 43,5 milliards de dollars en 5 ans. 



Ici, il s’agit davantage de courage et de réalisme que de bien-fondé politique. Malheureusement, conservatisme et peur s’allient pour enfermer la France dans le piège du tout répressif. Néanmoins la légalisation viendra, peut-être même sans passer par l’étape transitoire de la dépénalisation qui semble inutile, voire contre-productive. Alors, il faudra lancer un projet multiforme et interministériel afin de détourner les anciens délinquants du trafic et les réinsérer socialement. Plusieurs voies existent en ce sens : investissements dans les nouveaux commerces légaux du cannabis, rétablissement des polices de proximité, réforme de l’enseignement public, sensibilisation accrue et lutte contre le racisme et la stigmatisation des cités etc. En somme, tout faire pour les reconnecter à notre société et ne pas les enfoncer davantage dans une délinquance dont ils souffrent également. Cela comprend donc la lutte contre les autres réseaux de trafics, d’armes et autres drogues dures, qui ne doivent plus être perçus par les jeunes des cités comme la seule issue possible. Pour se faire, offrons leurs d’autres issues, d’autres horizons ; laissons les rêver sans que ça parte en fumée.

 

Fabio BECHAIRIA