Le budget Bayrou : une réactivation des contre-vérités politique

Le nouveau budget présenté par l’ancien premier ministre François Bayrou attise une grande colère populaire, dont l’issue de la manifestation de ce jour est encore incertaine. Dans son discours du 8 septembre, avant l’échec de son vote de confiance, Bayrou a ressassé les mêmes contre-vérités économiques, en faisant passer ses politiques d’austérité pour des nécessités. Il sera question dans cet article de mettre au jour les mensonges omniprésents dans les discours du gouvernement.
- Les mensonges au sujet de la dette
D’abord, il faut se pencher sur la question de la dette, qui justifie pour la majorité les politiques d’austérité.
En premier lieu, le drame présenté face à l’ampleur de la dette est démesuré et anxiogène.
La dette française représente aujourd’hui 114% du PIB, à savoir plus de 3000 milliards d’euros. Certes, ce chiffre est considérable, mais il est toujours moindre en comparaison d’autres pays occidentaux comme l’Italie, la Grèce, les Etats-Unis ou encore le Japon (200% du PIB pour ce dernier).
En effet, le mécanisme d’endettement a toujours été présent dans nos économies capitalistes (sans que cela, et notamment vis-à-vis des investisseurs étrangers, soit nécessairement louable). Ce mécanisme fonctionne à la condition où la dette reste soutenable, c’est-à-dire que les Etats sont considérés comme capables de rembourser leur dette. Généralement, les économistes utilisent une comparaison simple pour évaluer la soutenabilité de la dette : le niveau des taux d’intérêts sur la dette doit être inférieur à celui de la croissance nominale. Or, typiquement en France, les taux d’intérêts s’élèvent en moyenne à 1,9% tandis que le taux de croissance s’élève à 3,5%, indiquant donc que la dette est considérée soutenable et que le catastrophisme vendu par le gouvernement est injustifié.
En second lieu, si certes il faut réduire la dette, les politiques d’austérité ne sont pas la solution.
Si notre dette est pour le moment soutenable, cela n’empêche pas de mener une politique visant à la réduire. Cependant, mettre en place des politiques d’austérité pour ce faire peut-être contreproductif au sein d’un système capitaliste : en réduisant les dépenses et donc la consommation et la production ; la croissance, pourtant nécessaire à la perpétuation du capitalisme (et accessoirement à l’acquittement des dettes) en est diminuée. (NB : cela entraînerait donc une baisse du taux de croissance et donc de la soutenabilité de la dette qu’on cherche justement à maintenir !). Historiquement les politiques d’austérité ont alors pu entraîner des désastres économiques en aggravant les crises qu’elles prétendent régler (notamment suite à la crise des subprimes en 2008 en Europe).
Par ailleurs, les politiques d’austérité pèsent davantage sur les plus démunis (à travers notamment la réduction des dépenses sociales), ce qui pose un problème de justice évident.
Face à une politique d’austérité aussi risquée qu’injuste, une proposition simple venant de la gauche est la taxation des ultra-riches. Nous pouvons notamment penser à la taxe Zucman qui vise à instaurer un impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. La redistribution engendrée aurait deux effets positifs majeurs : l’augmentation des recettes de l’Etat (et donc réduction du niveau de la dette), et l’accroissement de la redistribution dans un but de justice fiscale et de renforcement des services publiques
- Les mensonges au sujet de la taxation des riches
Il convient enfin, donc, de mettre au jour les énièmes mensonges politiques qui peuplent les discours du gouvernement concernant cette proposition.
D’abord, l’idée revient encore dans les discours politiques que les riches sont déjà « trop taxés ». Il est alors nécessaire de rappeler que non seulement les ultra-riches ont massivement recours à l’évasion fiscale, ils sont de plus en moyenne moins taxés en proportion de leurs revenus que le reste de la population. Notamment, selon le rapport de l’institut des politiques publiques sur la taxation des milliardaires : « le taux d’imposition global des revenus au titre de l’année 2016 est progressif jusqu’à un niveau élevé de revenus, mais devient fortement régressif au sein de la population des 0,1 % des ménages les plus aisés », ce qui signifie que les milliardaires paient en moyenne proportionnellement moins d’impôt que le reste de la population (source en bas de page).
Ensuite, l’argument avancé du risque de « grand départ » des riches est une nouvelle fois factuellement faux. En effet, les études économiques empiriques ont montré que cette mobilité des ultra riches est très minime. L’exit fiscal n’a pas d’impact significatif sur l’économie : le CAE a d’ailleurs récemment confirmé qu’une taxe de 1% sur les patrimoines n’entraînerait qu’un exil fiscal extrêmement marginal des contribuables concernés (entre 0,03 et 0,003%).
Finalement, l’idée sous-jacente que nous avons « besoin des riches » découle d’une version de la théorie du ruissellement (l’augmentation du revenu des riches entraînerait l’augmentation de l’ensemble du niveau de vie de la population) qui ne dit pas son nom ; mais qui a pourtant déjà bien été démontée empiriquement. Par ailleurs, les études économiques sur le sujet montrent que si exit fiscal il y a (si faible soit-il), il n’a pas d’impact significatif sur notre économie (et notamment, pas sur le niveau d’investissement dans les entreprises).
Nous avons donc vu que la politique gouvernementale essaie de se faire passer pour nécessaire, neutre, rationnelle, pragmatique. Pourtant, le gouvernement répète des mensonges qui vont à l’encontre de la science et de l’empirie ; et cela, il faut le répéter, encore et encore. Défendre la politique gouvernementale par de tels arguments revient indiscutablement à rejeter la méthode scientifique ; et cela aussi il faut l’assumer. Cette supercherie intellectuelle est très répandue chez les individus attachés à la conservation du statu quo. Elle vise à masquer une volonté politique claire : ne pas taxer les riches et faire peser le poids de la réduction de la dette sur les plus démunis. C’est un choix, qu’il est nécessaire d’assumer ; c’est à partir de la reconnaissance de ce fait que la politique commence réellement.
La nomination hier de Sébastien Lecornu à la tête du gouvernement montre une nouvelle fois la volonté du gouvernement de servir les intérêts de la classe dominante ainsi que de perpétuer le capitalisme néolibéral et ses dynamiques d’injustice et d’exploitation. La manifestation de ce jour doit permettre d’exprimer les revendications populaires et dans le même temps de dénoncer le mépris du gouvernement macron pour la science, le peuple et la démocratie.
Sources et références :
- Sur le mensonge de la théorie du ruissellement :
- Arnaud Parienty, « Le mythe de la théorie du ruissellement ».
- David Hope, Julian Limberg : https://eprints.lse.ac.uk/107919/1/Hope_economic_consequences_of_major_tax_cuts_published.pdf: En analysant des variations de taux d’imposition sur le revenu, le capital et les plus-values de 18 pays de l’OCDE de 1965 à 2015, les auteurs ne trouvent pas de lien statistiquement significatif entre la baisse d’impôt pour les plus riches et la croissance économique ou l’emploi
- Sur les statistiques concernant les finances publiques : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8574701?sommaire=8574832
- Sur le mensonge de l’exit fiscal comme danger : https://cae-eco.fr/fiscalite-du-capital-quels-sont-les-effets-de-lexil-fiscal-sur-leconomie-communique-de-presse
- Sur les taux de taxation des milliardaires : https://www.ipp.eu/publication/16253/
- Sur l’évasion fiscale : https://www.taxobservatory.eu/publication/global-tax-evasion-report-2024/
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