Les choses humaines : du juridique au psychique, le récit poignant du procès d'un viol
Karine Tuile, (©JF Paga - Grasset)
Publié en 2019, Les choses humaines est un roman à succès écrit par Karine Tuil adapté en 2021 au cinéma par Yvan Attal.
On y retrouve Jean Farel et Claire Farel tous les deux reconnus et influents dans l’espace médiatique. Leur fils Alexandre s’apprête à partir étudier à Stanford. Cependant tout bascule lorsqu’ Alexandre est accusé de viol par Mila la fille du compagnon de sa mère, après une soirée sous l’emprise de stupéfiants.
Les 4 premiers chapitres posent le décor et font le portrait des 4 personnages principaux. Aparaissent alors Jean Farel, vielle star télévisuelle qui n’arrive pas à quitter le plateau, Claire Farel, brillante essayiste féministe partagée entre principe et réalité, son compagnon Adam ainsi que ses enfants, et Alexandre le fils des Farel, étudiant prometteur.
Karine Tuil, dans la première partie, nous présente une radiographie du monde des élites intellectuelles. On attend la “diffraction” (terme utilisé en physique pour définir le comportement des ondes lorsqu’elles rencontrent un obstacle) comme prévu par le titre de cette première partie. Nous connaissons pourtant dès la premier ligne la nature du choc « la déflagration extrême, la combustion définitive, c’était le sexe, rien d’autre ». Finalement le déclencheur est Alexandre, qui, lors d’une soirée étudiante, va pour un peu d’adrénaline, participer à un jeu avec ses amis.
Dans ce jeu, chaque participant doit, avant 2 heures du matin, revenir avec le dessous d’une jeune fille choisit afin d’éviter un gage à publier sur ses réseaux sociaux. Malgré la demande du père de Mila de « prendre soin d’elle », Alexandre après avoir acheté de la drogue, s’était rendu avec Mila dans le hall d’un immeuble alors qu’il venait de la rencontrer. Ils avaient fumé, lui avait consommé de la cocaïne, il l’avait embrassé, puis lui avait demandé une fellation, ils avaient eu un rapport assez rapide « rien d’extraordinaire ». Après avoir récupéré sa culotte et lui avoir avoué que ce n’était que dans le but d’un bizutage, elle avait commencé à pleurer et il s’était en allé.
En 2018, 2 ans après les faits, Jean, Claire, Alexandre et Mila sont réunis pour le procès dans une atmosphère pesante. Alexandre après sa garde à vue, avait été placé sous contrôle judiciaire et non en détention en vue de « son casier judiciaire vierge, sans histoire extrêmement sociable et diplômé de la plus grande école d’ingénieure ». Il avait cependant passé quelque mois à Fresnes, après avoir violé les mesures d’éloignement avec la plaignante, Mila. Ce passage avait rendu les choses plus difficiles pour lui au vu du traitement réservé au accusés d’agression sexuelle dans les prisons.
Le portrait psychologique des deux protagonistes durant le procès est très précisément décrit, nous faisant alors ressentir l’état de détresse dans lequel se trouve Mila. En effet, au moment de l’énoncé de l’ordonnance de mise en accusation cette dernière s’est mise à pleurer, en expliquant que « c’était trop dur pour elle, qu’elle ne se sentait pas capable de supporter ça ». Au fur et à mesure que le temps avance, elle se recroqueville de plus en plus sur sa chaise pour enfin paraître toute petite lorsque Alexandre affirme qu’elle était consentante. Mila apparaît alors atteinte psychologiquement par les évènements mais aussi physiquement, décrite comme menue, fatiguée et faible ayant du mal à se tenir debout au moment de l’énoncé des faits.
L’état psychologique de Mila est assez représentatif de ce qui est appelé “Rape Trauma Syndrom”, autrement dit le trouble de stress post-traumatique enduré après un viol, principalement théorisé par la psychiatre Ann Burgess et la sociologue Lynda Lytle Holmstrom en 1974.
Dans les années 1970, la littérature psychiatrique a commencé à examiner le traumatisme que le viol provoque chez les victimes. Les premières conceptualisations des schémas de réponse au stress des victimes de viol sont cohérentes avec les critères diagnostiqués du PTSD (post traumatic stress disorder traduit trouble de stress post traumatique ), une catégorie majeure de troubles anxieux.
La principale caractéristique du PTSD est que le facteur de stress est d'une telle ampleur qu'il se manifeste par des symptômes distincts pour toutes les victimes. De nombreuses études ont souligné l’importance de la sensation de violation personnelle pour la victime de viol. Le deuxième critère diagnostique majeur du PTSD est la reviviscence du traumatisme, le plus souvent par le biais de souvenirs récurrents et intrusifs de l'événement. Le troisième critère est un engourdissement de leur réactivité ou une implication réduite dans leur environnement.
Ann Burgess différencie 2 phases dans le trouble post traumatique engendré par un viol.
La phase aigüe dans un premier temps, se produisant durant les jours ou semaines après le viol. Malgré le fait que cette phase ne s’exprime pas de la même façon pour tous, elle peut être classée en différentes réactions : expressives (la personne peut paraître agité, peut souffrir de crise de larmes et d’anxiété) ; contrôlées (la personne se comporte comme si de rien était) ; ou choquées (la victime se comporte de manière désorientée, rencontre des difficultés à accomplir des tâches quotidiennes et ne peut avoir que de vagues souvenirs de l’agression).
Nous pouvons aussi observer au cœur de cette phase, d’autres comportements comme une vigilance diminuée, des nausées, des vomissements, une anxiété paralysante, une terreur persistante, une obsession de se laver, un désespoir (sentiment de ne plus rien avoir à perdre), ou alors une indifférence au monde extérieur.
La deuxième phase est celle de l’ajustement vers l’extérieur, les personnes ayant atteint ce stade semblent avoir retrouvé leurs habitudes de la vie normale. Cependant elles souffrent d’un profond traumatisme qui peut se manifester de manière variable.
Le RAINN (Rape, Abuse & Incest National Network) organisation américaine la plus importante de lutte contre les agressions sexuelles identifie 5 stratégies majeures qui se manifestent chez la victime durant cette deuxième phase : la minimisation, la dramatisation (l’obligation de toujours parler de son agression), le déni, l’explication (analyse ce qui s’est passé, essaye de comprendre les raisons de l’agresseur), et la fuite (déménager, changer d’apparence, de travail etc…).
D'autres phénomènes d’adaptation moins fréquents peuvent apparaître comme une mauvaise santé, une anxiété généralisée, un sentiment d’abandon, des sauts d’humeur, une agressivité extrême, des troubles du sommeil, des flashback etc…
On observe aussi des réponses physiologiques. Qu’elles aient subi de la violence physique qui aurait pu entraîner des blessures phyisques, ou qu’elles n’aient aucunes séquelles corporelles engendrées par l’agression, les victimes de viol, peuvent voir leur état de santé se dégrader plus que la moyenne, dans les mois et les années qui suivent. Cela est lié au trouble somatoforme qui se manifeste par des symptômes physiologiques qui provoquent une forte inquiétude chez les victimes mais qui n’ont pas de causes identifiables car ils sont généralement issus d’un trouble mentaux. En outre, des symptômes spécifiques peuvent apparaître dans les zones du corps agressées. Les victimes de viol oral peuvent ressentir une variété de troubles liés à la gorge et la bouche tandis que celles victimes d'un viol anal ou vaginal peuvent avoir des réactions en relation avec ces zones.
Une dernière phase peut s’ajouter à ce processus : la phase de normalisation, les victimes commencent à reconnaître leur phase d’ajustement. Particulièrement importante pour les personnes étant passées par une phase de déni. Durant la phase de normalisation, la victime intègre l'agression dans sa vie de telle manière qu'elle n'en constitue plus le point focal. Durant cette phase, des sentiments négatifs comme la culpabilité et la honte se résorbent et la victime ne se blâme plus pour l'agression.
Ce trouble post traumatique, à la suite d’un viol, est l’un des plus important en terme de réaction, et est malheureusement particulièrement répandue. La recherche se concentre désormais sur les facteurs qui intensifient ou réduisent le traumatisme du viol et affectent le rétablissement.
Publié dans l’ère #MeToo, après l’affaire Weinstein, Les choses humaines de Karine Tuil est un roman à lire ne serait-ce que pour la complexité de ses personnages, mais aussi pour son impact sur les conséquences psychiques qui découlent du viol pour une victime. Des conséquences, quant à elles, souvent trop minimisées. Cette lecture nous questionne aussi sur ce que nous pensons défendre et la réalité de faits sans vraiment nous donner de réponses.
Luna Bouhadjar
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