Les enjeux politiques de l’introduction de la proportionnelle dans l’élection des députés

Le premier ministre, François Bayrou, souhaiterait instaurer un scrutin proportionnel pour l’élection des 577 députés français, aujourd’hui élus selon un scrutin majoritaire. Si un tel sujet divise au sein du gouvernement, de nombreux politiques soutiennent cette initiative, y compris des députés de l’opposition comme LFI et le RN qui en avaient fait un point de leur programme législatif.
L’introduction du scrutin proportionnel : bonne ou mauvaise idée ?
Pour comprendre les enjeux de cette question, il convient de comparer le fonctionnement de la représentation proportionnelle avec celui du scrutin majoritaire.
- Dans le scrutin proportionnel, nécessairement de liste, chaque parti obtient un nombre de sièges proportionnel au nombre de votes obtenus. Ce mode de scrutin prévaut pour les élections européennes ainsi que partiellement pour les élections municipales dans les communes de plus de 1000 habitants.
- Dans le scrutin majoritaire, le siège est attribué, pour les scrutins uninominaux, au candidat obtenant la majorité des voix ou, pour les scrutins de liste, à la liste arrivée en tête. Ce mode de scrutin est à l'œuvre en France pour les élections municipales dans les communes de moins de 1000 habitants, pour les élections législatives ainsi que pour l’élection présidentielle.
Les atouts du scrutin proportionnel
Le scrutin proportionnel permet davantage de représentation dans le contexte de la crise de la démocratie actuelle. En effet, le principal inconvénient du scrutin majoritaire est que celui-ci a tendance à occulter les partis minoritaires, y compris les plus importants. Il suffit d’observer la composition de l’Assemblée nationale sous les différentes législatures pour s’en rendre compte. En particulier, celle issue des élections de juin 2017 interpelle : seuls 8 députés RN sont représentés sur 577 alors que deux mois plus tôt, Marine Le Pen, chef de file du RN, était parvenue au second tour de la présidentielle, ayant recueilli 21,30% des voix au premier tour, jalonnant alors de peu Emmanuel Macron (24% des voix au premier tour). Cela révèle une sous-représentation du parti RN par rapport au poids de son électorat. Il en va de même pour le parti LFI, ayant obtenu lors de ces mêmes législatives seulement 17 sièges. Cette sous-représentation est encore plus flagrante dans des pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, où la vie politique tourne autour de deux partis essentiellement, selon une organisation bipartite.
A l’inverse, en présence d’un scrutin proportionnel, chaque parti obtient un nombre de sièges proportionnel au nombre de votes obtenus, ce qui permet même aux plus petits partis d’être représentés. Le scrutin proportionnel est ainsi souvent perçu comme « plus démocratique », « plus juste » puisque plus représentatif. Cet argument peut toutefois être contesté, dès lors que le scrutin majoritaire, lorsqu’il est uninominal, offre la possibilité de choisir directement son représentant. Cela n’est pas le cas pour le scrutin proportionnel, obligatoirement de liste, cette dernière étant arrêtée par le parti.
Les inconvénients du scrutin proportionnel
La proportionnelle génère plus d’instabilité politique car ce mode de scrutin n’est pas favorable à la constitution d’une majorité stable, nécessaire pour gouverner. Cet écueil s’est manifesté sous la IVème République. De Gaulle accusait ainsi ce type de représentation de favoriser le « régime des partis »* (De Gaulle, Discours de Bayeux). C’est pour cette raison qu’a été fait le choix lors de la promulgation de la Vème République d’un scrutin majoritaire, davantage favorable à des majorités stables puisque seul le candidat arrivé en tête dans sa circonscription est représenté. Cela a pour conséquence de favoriser les gros partis comme Renaissance, au détriment des petits partis comme LFI ou jusque plus récemment le RN.
En réalité, cet argument juridique derrière lequel se rangent les opposants au scrutin proportionnel en cache souvent un plus politique : le scrutin proportionnel faciliterait l’accès au pouvoir de partis dits « populistes » (sont généralement visés sous cette dénomination les partis RN et LFI).
*Désigne l’instabilité des partis qui renversaient sans cesse les gouvernements sous la IVe République
Le scrutin proportionnel dans l’histoire du droit français
A deux reprises le droit français a connu le scrutin proportionnel comme mode d’élection des députés : sous la IVème République, comme vu précédemment, mais également en 1986, à la veille des élections législatives. Officiellement, il s’agissait pour François Mitterrand de mettre en œuvre le programme présidentiel socialiste visant à permettre une meilleure représentativité de l’électorat français. Officieusement, dans un contexte de baisse du parti socialiste dans les sondages, il s’agissait d’une manœuvre politique destinée à atténuer sa défaite. En effet, en introduisant ce mode de scrutin, le président socialiste anticipait l’entrée à l’Assemblée nationale de députés issus du Front National, jusqu’à présent non représentés, de nature à priver l’opposition de majorité absolue. Néanmoins, cette expérience de la représentation proportionnelle fut de courte durée. Sitôt la droite de Jacques Chirac arrivée au pouvoir à la suite des élections de 1986, ouvrant la première période de cohabitation, un projet de loi sur le retour du scrutin majoritaire fut voté. Depuis, c’est ce mode de scrutin qui prévaut pour l’élection des députés français.
Toutefois, cette question demeure très prégnante. La commission de rénovation et déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin en 2012, de même que le rapport de l’Assemblée nationale Refaire la Démocratie de 2015 prônaient tous deux l’introduction d’une part de proportionnelle dans l’élection des députés. Cette question revient ainsi régulièrement sur le devant de la table : programme législatif d’Emmanuel Macron en 2017 et 2022, appel de Yaël Braun-Pivet en mars 2024 à introduire une dose de proportionnelle et tout dernièrement réouverture de ce débat par le premier ministre F. Bayrou. D’ailleurs, les partis s’y déclarent plutôt favorables dans leur ensemble. Hormis Horizons et LR qui y sont hostiles, la plupart en ont même fait une mesure de leur programme lors des dernières élections législatives.
Pourtant, malgré des propositions de loi en ce sens, le scrutin majoritaire n’a jamais été renversé depuis 1986. Comment l’expliquer alors même que la nécessité du passage au scrutin proportionnel fait quasiment l’unanimité ? Le principal facteur d’explication est probablement à rechercher dans les modalités du scrutin proportionnel, lesquelles ne font pas consensus.
Les modalités du scrutin proportionnel
Si François Bayrou souhaite soumettre un projet de loi sur le passage au scrutin proportionnel pour élire les députés français, il n’en a pas encore précisé les modalités. Diverses possibilités existent.
Il peut d’abord s’agir d’un scrutin proportionnel dit intégral. En France, celui-ci consisterait à étendre ce mode de vote à l’élection des 577 députés. La proportionnelle intégrale est défendue notamment par LFI mais aussi par le parti MoDem dirigé par François Bayrou. Toutefois, celle-ci apparaît peu réaliste voire peu souhaitable, dans la mesure où elle conduirait à un morcellement de l’Assemblée nationale tel qu’il serait difficile de gouverner. Cela nécessiterait de négocier chaque proposition ou projet de loi. Or, la France, à la différence d’autres pays, n’a pas une culture du dialogue et du compromis.
Dès lors, la plupart des partis proposent une voie médiane entre un scrutin entièrement majoritaire et un scrutin entièrement proportionnel, consistant à introduire une « dose » de proportionnelle, autrement dit un scrutin mixte. Plusieurs pays y ont recours comme l’Italie ou l’Allemagne. En France, celui-ci est également à l’œuvre mais uniquement pour les élections régionales et sénatoriales. Tout l’enjeu politique de son extension aux élections législatives consiste à déterminer dans quelle proportion les députés doivent être élus à la proportionnelle et au scrutin majoritaire. Le RN souhaite une part importante tandis que d’autres partis comme Renaissance sont plus réservés et visent davantage une cible de 15% de députés élus à la proportionnelle.
Conclusion
A l’heure où de nombreux citoyens ne se sentent pas représentés et où l’abstention bat des records dans certaines classes d’âge comme les 18-24 ans, l’idée d’élire les députés à la proportionnelle apparaît séduisante. Toutefois, les partis peinent à s’accorder sur un tel sujet. Certains y sont favorables, sans pour autant parvenir à se mettre d’accords sur ses modalités. D’autres y restent hostiles, invoquant l’instabilité chronique de la IVème République. Cet argument résonne de manière d’autant plus forte dans le contexte actuel d’absence de majorité à l’Assemblée nationale, qui révèle la difficulté de gouverner en France en trouvant des accords avec les différents partis.
François Bayrou s’attaque de fait à un chantier qui a déjà débuté et qui devrait encore durer avant qu’un quelconque projet de loi n’aboutisse.
Camille PEZOINBOURE
Sources
- CPGE ENS Rennes D1. Lycée Juliette Récamier. Cours de droit constitutionnel
- Proportionnelle aux élections législatives : qu’en pensent les différents partis politiques ? (2025, May 26). Franceinfo. https://www.franceinfo.fr/politique/proportionnelle-aux-elections-legislatives-qu-en-pensent-les-differents-partis-politiques_7271859.html
- François Bayrou s’attaque au chantier du scrutin proportionnel (1 mai 2021). L’édito de Patrick Cohen. France TV. https://www.deezer.com/search/scrutin%20proportionnel/episode
- Wikipédia. (2004, August 28). Scrutin proportionnel uninominal. https://fr.wikipedia.org/wiki/Scrutin_proportionnel_plurinominal#Variantes
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