Petit pays, grands choix : l’Arménie au cœur du Caucase

              En 2025, l’Arménie traverse un moment historique. Longtemps perçu comme un petit État coincé  entre des voisins puissants et instables, le pays semble vouloir reprendre son destin en main. Depuis  plusieurs décennies, Erevan (capitale d’Arménie) subit les conséquences de conflits gelés, de  pressions extérieures et d’un isolement économique relatif. Les séquelles de la guerre du Haut 

Karabakh, les difficultés économiques liées aux blocus frontaliers et l’influence persistante des  grandes puissances ont façonné une Arménie prudente, parfois hésitante.  

Mais l’été 2025 marque une rupture. En quelques mois, l’Arménie a signé un accord de paix inédit  avec l’Azerbaïdjan, lancé son processus d’adhésion à l’Union européenne et amorcé un  rapprochement stratégique avec la Géorgie. Ces décisions audacieuses pourraient transformer  durablement la géopolitique du Caucase et modifier l’équilibre régional pour les années à venir.  

Loin d’être de simples annonces diplomatiques, ces mouvements incarnent la volonté d’un petit  État de devenir autonome et de s’affirmer sur la scène internationale. Cependant, ces choix  comportent aussi des risques majeurs : tensions avec la Russie, inquiétude iranienne, fragilité de  nouvelles alliances régionales et critiques internes sur la souveraineté nationale. 

 

I - L’accord de paix avec l’Azerbaïdjan : un tournant stratégique  

 

Le 8 août 2025 restera gravé dans les mémoires. Ce jour-là, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont signé un  accord de paix qualifié d’historique. Depuis l’indépendance des deux pays, le conflit autour du  Haut-Karabakh a rythmé les relations entre Erevan et Bakou, provoquant guerres, déplacements  massifs de population et crises humanitaires répétées. Même après la guerre de 2020, qui avait  renforcé la position militaire de l’Azerbaïdjan, la paix durable semblait impossible.  

Cette fois, l’accord prévoit la création d’un corridor de transit stratégique traversant le sud de  l’Arménie, nommé « Route Trump pour la paix et la prospérité internationales » (TRIPP). Administré par les États-Unis pour 99 ans, ce passage doit sécuriser le commerce et la circulation  entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, tout en offrant à Erevan une garantie extérieure face aux tensions  potentielles.  

Cette initiative est inédite à plusieurs égards. Elle implique la présence directe des États-Unis dans  le Caucase, jusque-là dominé par la Russie et fortement influencé par l’Iran. Pour Washington, c’est  une opportunité stratégique de consolider son influence dans une région sensible et de s’imposer  comme acteur incontournable dans un espace longtemps monopolisé par Moscou. Pour l’Arménie,  c’est un moyen de sortir de l’isolement et de sécuriser son territoire.  

Mais l’initiative n’est pas sans controverse. Une partie de la population arménienne s’inquiète de  confier une portion stratégique de son territoire à une puissance étrangère. D’autres, au contraire,  voient dans ce corridor une chance historique de tourner la page des conflits et de booster  l’économie par l’ouverture de nouvelles routes commerciales. L’équilibre régional est bouleversé,  la Russie, jusqu'ici garante de la sécurité arménienne, est marginalisée, tandis que l’Iran suit avec  méfiance les mouvements américains. L’Azerbaïdjan, lui, obtient une victoire diplomatique  significative, consolidant son accès à la Turquie et à l’axe économique du sud du Caucase. 

 

II - L’orientation européenne : un choix audacieux et risqué  

 

Quelques mois avant cet accord, en mars 2025, le parlement arménien lançait officiellement le  processus d’adhésion à l’Union européenne. Ce choix stratégique marque un virage radical dans  l’histoire récente du pays. Après des décennies de liens étroits avec la Russie sur le plan militaire et  économique, Erevan choisit de se tourner vers l’Occident, dans l’espoir de consolider sa  souveraineté et de moderniser son économie.  

L’Europe offre une opportunité majeure en proposant un marché stable, des aides financières  importantes et un cadre institutionnel capable d’accompagner la modernisation du pays.  Politiquement, ce choix envoie un signal fort en affirmant que l’Arménie veut être un acteur  autonome et fiable, capable de rompre avec les influences traditionnelles qui l’ont longtemps  maintenue dans une position subordonnée.  

Cependant, ce pari comporte des risques considérables. La Russie, qui considère encore le Caucase  comme une zone d’influence privilégiée, a clairement exprimé son mécontentement. Les menaces  sont multiples, allant de la hausse possible des prix de l’énergie aux pressions sur la diaspora  arménienne en Russie, en passant par les campagnes de désinformation et les tentatives d’influence  politique. L’Arménie se retrouve donc dans une position délicate, car elle doit s’affirmer tout en  naviguant dans une zone de tensions accrue avec ses voisins traditionnels.  

Dans les rues d’Erevan, le débat est vif. Certains citoyens craignent que l’orientation européenne ne  provoque des représailles économiques, tandis que d’autres considèrent que c’est la seule façon de  garantir la sécurité et le développement du pays.  

 

III - Une nouvelle coopération régionale avec la Géorgie  

 

Parallèlement à ce basculement vers l’Occident, l’Arménie explore des alliances régionales  inédites. La Géorgie, elle aussi tournée vers l’Europe et confrontée à des tensions avec la Russie,  apparaît comme un partenaire naturel. L’été 2025 a vu s’intensifier les discussions autour d’une  coopération militaire bilatérale, avec la création possible d’un centre de défense commun à Goris,  ville stratégique proche de la frontière avec l’Azerbaïdjan.  

Si ce projet se concrétise, il pourrait représenter un véritable changement de paradigme pour le  Caucase, avec deux petits États qui uniraient leurs forces pour mieux se défendre et peser dans les  négociations internationales. Cette coopération pourrait également inspirer d’autres initiatives  régionales, renforçant la solidarité caucasienne et diminuant la dépendance à l’égard des grandes  puissances.  

Mais pour l’instant, le projet reste fragile. La Géorgie doit gérer ses propres tensions internes,  notamment dans les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, où la Russie conserve une  forte influence. Mais la démarche est symboliquement puissante, car elle montre que l’Arménie ne  se contente plus d’attendre des soutiens extérieurs, et qu’elle cherche désormais à construire ses  propres réseaux de sécurité et d’influence.  

 

IV - Perspectives pour 2030 : 3 scénarios possibles  

 

L’avenir de l’Arménie reste incertain, mais plusieurs trajectoires sont envisageables : 

Le scénario optimiste : l’Arménie devient un acteur stable et influent du Caucase Si l’accord avec l’Azerbaïdjan tient, si l’intégration européenne progresse et si la coopération avec  la Géorgie se renforce, Erevan pourrait devenir un pivot régional fiable. Le Caucase connaîtrait  alors une période de stabilité durable, les investissements étrangers se multiplieraient et l’Arménie  consoliderait sa souveraineté politique et économique.  

Le scénario intermédiaire : stabilité fragile et tensions ponctuelles 

L’accord avec Bakou résiste, mais la Russie et l’Iran exercent une pression continue. La  coopération régionale avec la Géorgie reste limitée à des gestes symboliques, et le processus  européen progresse lentement. L’Arménie réussit à maintenir une paix intérieure et une sécurité  minimale, mais doit naviguer entre tensions frontalières régulières et compromis constants avec ses  voisins.  

Le scénario pessimiste : crise régionale et isolement 

Si le corridor TRIPP devient source de tensions, si la Russie intensifie sa pression et si la  coopération avec la Géorgie échoue, l’Arménie pourrait se retrouver isolée. Les conflits frontaliers  pourraient reprendre, les investissements étrangers se raréfier, et l’adhésion européenne stagner,  laissant le pays vulnérable aux jeux d’influence des grandes puissances.  

 

 

 

            L’été 2025 aura marqué un tournant historique pour l’Arménie. Entre la paix avec l’Azerbaïdjan,  l’ouverture vers l’Europe et le rapprochement stratégique avec la Géorgie, le pays s’affirme comme  un acteur capable de décider de son avenir. Ces choix sont audacieux et risqués, mais ils traduisent  surtout la volonté de l’Arménie de ne plus subir l’histoire, mais de la façonner.  

L’Arménie est aujourd’hui un laboratoire fascinant où se croisent toutes les dynamiques majeures,  entre la fin des conflits gelés, le déplacement des zones d’influence, le rôle des grandes puissances  et la quête de souveraineté des petits États. Le Caucase n’a jamais semblé aussi central et aussi  vivant. Reste à savoir si ce moment historique ouvrira la voie à la stabilité ou à de nouvelles  tensions, et comment le pays et la région se redéfiniront d’ici 2030.