Prostitution, sous la lumière rouge de l’hypocrisie

Combien de temps les prostituées continueront d’entendre parler d’elles sans jamais n’être écoutées ? Combien de temps encore légiférerons-nous sur leurs corps sans leur accorder les droits les plus élémentaires ? Combien de temps encore prétendrons-nous les protéger ?

 

La Belgique a été le premier pays au monde à reconnaître enfin aux travailleur.se.s du sexe un statut, des droits sociaux et une protection. Tandis que la France persiste dans une politique hypocrite, mêlant interdictions morales et violences policières.

 

La Belgique n’a pas simplement pris une réforme administrative et juridique mais a opéré un réel changement de paradigme. La décriminalisation ne suffit pas. En l’absence de cadre légal et sans droits sociaux ni protection institutionnalisée, les prostitué.e.s sont en proie à la violence, à l’exploitation et à la misère.

 

Derrière la volonté d’une société sans prostitution, se cache un objectif irréalisable et le refus de regarder la réalité en face : le sexe tarifé existe, et ce sont celles et ceux qui le pratiquent qui se retrouvent abandonnés au nom de la morale. 40% des Parisiens indiquent avoir déjà eu un rapport sexuel tarifé (Statista), au vu d’un tel chiffre, nous ne pouvons faire le choix de fermer les yeux.

 

Ici, il sera utilisé le terme de « travailleurs et travailleuses du sexe » qui sont des personnes dont l’activité se définit dans des échanges économico-sexuels.

 

I- Loi de 2016 : une politique hypocrite et violente

 

En 2016, l’espoir de voir la situation des prostitué.e.s améliorée est apparue. La désillusion pointe néanmoins rapidement le bout de son nez. La loi du 13 avril 2016 instaure plusieurs mécanismes de protection dont l’intérêt et l’efficacité sont moindres voire inexistants. En effet, la dite-loi abroge le délit de racolage pour interdire l’achat d’actes sexuels et institue un parcours de sortie de la prostitution. En clair, on pénalise le client et non plus les travailleur.se.s du sexe. Cette criminalisation du client ne soulage nullement la majorité des travailleur.se.s, estimant qu’en réalité cette loi les pénalise indirectement, encore plus. Il s’agit ainsi d’une loi faussement protectrice qui a pour conséquence de dégrader les conditions de vie et de travail des personnes prostituées.

 

Un rapport de médecins du monde indique que la répression du travail du sexe par la pénalisation des clients engendre des répercutions désastreuses sur la santé physique et mentale des travailleur.se.s du sexe, une hausses des violences subies, des conditions de travail dangereuses un renforcement des stigmata et une précarité économique accrue.

 

L’intention du législateur était noble, mais le résultat n’a pas été celui escompté : la loi de 2016 est avant tout moralisatrice et aucunement protectrice.

 

Mais alors, de quoi faut-il protéger les personnes prostituées ? Des viols, des violences des proxénètes, de l'abus de dépendance économique. La pénalisation du client ne protège pas, mais renforce et accroit toutes ces formes de violences dont sont victimes les travailleur.se.s du sexe. Ces violences trouvent leurs sources dans l’absence de droits accordés et dans le mépris institutionnel. L’inaction des pouvoirs publics est mère de la situation de précarité et d’insécurité dans laquelle se trouvent les personnes prostituées.

 

La loi de 2016 revêt un objectif d’abolition de la prostitution sous couvert de féminisme et de dignité humaine. Cette dignité est bafouée. Victimes de chantage par les forces de police, les travailleur.se.s du sexe sont obligées de dénoncer leur client. Les étranger.e.s et les plus précaires sont particulièrement touchés par ces mécanismes. En effet, la méconnaissance de leur droit engendre l’impossibilité de tenir tête au policier chanteur. Comment prétendre que l’abrogation du délit de racolage est un outil efficace de protection alors même que les personnes prostituées sont intimidées ?

 

La loi de 2016 institue un parcours de sortie de la prostitution. Mécanisme attendu, qui aurait pu répondre aux critiques de la pénalisation des clients. Cependant, la réalité est toute autre : le mécanisme présente un faible intérêt et une efficacité moindre. Plusieurs raisons annihilent ce parcours de sortie de la prostitution. D’une part, pour en bénéficier il faut présenter un dossier devant une commission. Le dépôt de ce dossier est subordonné à l’arrêt total de l’activité de prostitution. Or, est-il possible d’envisager que les personnes se prostituant, généralement en situation de dépendance économique et sous l’emprise d’un proxénète, soient en mesure de stopper net leur activité ? Là encore, le législateur n’aide pas l’ensemble des travailleur.se.s du sexe à en sortir, il choisit d’aider seulement les personne capables d’en sortir, et laisse sur le bord de la route les plus démuni.e.s.

D’autre part, il est absolument impossible d’assurer l’efficacité d’un tel mécanisme sans allouer suffisamment de moyens financiers aux associations agréées à présenter des demandes de « parcours ». En effet, les montages de dossiers représentent un travail colossal. Manque de moyens financiers supplémentaires, certaines associations, pourtant agréées, se sont retrouvées dans l’impossibilité de pouvoir accompagner qui que ce soit. Certaines se sont même vues diminuer leurs subventions départementales. Par ailleurs, le mécanisme étant fort méconnu, ne profite pas à l’ensemble des personnes prostituées. 

 

« La prise en charge proposée par l’État est ridicule, le pécule est trop faible pour survivre. » Emma, femme prostituée française

 

En somme, la loi de 2016, bien que marquée par une ambition de protection, est vidée de toute efficacité au regard de la réalité, de ses conséquences et de la faiblesse des « solutions » qu’elle apporte.

 

II- Sortir du fantasme et affronter la réalité

 

La prostituée est fantasmée, imaginée, représentée mais jamais écoutée. Sous l’esthétique séduisante de la nuit et élancée par des talons sur l’asphalte, la prostituée est une figure qui intrigue. Les travailleur.se.s du sexe sont vu.e.s sur les trottoirs, les annonces en ligne, les films. Elles sont chantées et peintes mais ne sont jamais reconnues en tant que sujet politique. Du romantisme noir à la chanson pop, du film stylisé à la blague sexiste voire l’insulte, la prostituée se situe au coeur de notre culture, mais jamais au coeur de nos débats.

 

Lillian Mathieu, sociologue et auteur de Sociologie de la prostitution  indique « que les femmes et hommes prostitués sont toujours exclus de l’élaboration des politiques destinées à encadrer leur activité ». Or, comment peut-on envisager la mise en œuvre d’une politique adaptée et efficace sans prendre en considération les intérêts et les revendications des premières personnes concernées ? En outre, Lillian Mathieu explique que l’exclusion des personnes prostituées est un facteur de leur condition de dominées.

 

Il n’existe pas de prostituée typique, modèle de toutes les autres. La figure de la prostituée est plurielle. Fruit d’une construction médiatique et culturelle, les pouvoirs publics refusent d’embrasser la complexité de ce phénomène. Cette objectivation réduisant les travailleur.se.s du sexe à une figure homogène et figée empêche toute reconnaissance de leurs droits et de leur statut ; les enfermant ainsi dans des conditions de vie et de travail misérables. Dans cette invisibilisation de la complexité du phénomène prostitutionnel, les mesures adoptées risquent de renforcer la précarité et la violence qu’elles prétendent, pourtant, combattre.

 

Il est essentiel de comprendre le phénomène prostitutionnel et déconstruire ces imaginaires sociaux pour enfin envisager des mécanismes réellement protecteurs.

 

III. Pour une politique de la dignité

 

Le mouvement féministe du Nid, oeuvre pour plus de dignité en prônant l’abolitionnisme. Selon cette conception, la prostitution serait le fruit d’un système patriarcal par lequel le corps des femmes se monnaie. Cette association accompagne alors les personnes prostituées à la sortie de leur activité.

 

Cependant soyons clairs, bien que l’abolitionnisme soit noble, il est utopiste, et demeure un idéal inatteignable. 

 

Il ne faut pas se leurrer : abolir la prostitution est irréalisable sans en abolir ses causes (misère et exploitation notamment). L’abolitionnisme refuse de regarder la réalité en face : le sexe tarifé existe, il est difficile - si ce n’est impossible - de lutter contre. Cette lutte épuisante est une perte de temps, puisqu’elle ne peut régler le problème que d’une manière parcellaire. En s’obstinant à vouloir éradiquer la prostitution, l’abolitionnisme invisibilise la réalité des conditions de vie et de travail des personnes prostituées. Au nom d’une utopie, on ne prends pas en compte les intérêts et les besoins réels des travailleur.se.s du sexe.

 

Ainsi, il vaudrait mieux changer de paradigme en sortant de l’utopie de l’abolitionnisme et de la logique punitive.

 

Comment en sortir ? Premièrement, en dépénalisant totalement le travail du sexe et en concentrant notre énergie à l’accompagnement plutôt qu’à la répression.  La pénalisation, quelle qu’en soit sa forme, a pour conséquence de dégrader les conditions de vie et de travail des premières personnes intéressées.

 

Mais dépénaliser ne suffit pas, prenons exemple de la Belgique et osons régulariser ! Sautons le pas de la reconnaissance pleine et entière du travail prostitutionnel. Le constat est clair : il est urgent de reconnaître des droits et un statut au travailleur.se.s du sexe.

 

Les résultats en Belgique sont probants : la régularisation a permis de renforcer la sécurité et la protection des personnes prostituées. À  améliorer les relations entre les forces de police et les travailleur.se.s du sexe qui ne les intimident ou ne les sanctionnent plus, pour les protéger des éventuels abus. En somme, la régularisation est une solution permettant d’améliorer un temps soit peu les conditions de vie et de travail des travailleur.se.s du sexe. Soyons tout de même clairs : des défis persistent, notamment ceux de la stigmatisation ou de l'exploitation, contre lesquels il faut continuer d’œuvrer.


Isis BRÉCHARD

Sources : 

 

https://shs.cairn.info/sociologie-de-la-prostitution--9782707179159?lang=fr

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/05/03/en-belgique-les-travailleurs-du-sexe-pourront-avoir-un-contrat-de-travail_6231418_3210.html 

 

https://www.medecinsdumonde.org/app/uploads/2022/04/Rapport-prostitution-BD_0.pdf