Tongo Saa : Rising Up at night de Nelson Makengo

 

 

Le cinéma, c’est l’écriture moderne dont l’encre est la lumière.” Ces mots de Cocteau ont une raisonnance particulière à l’aune de ce documentaire. Rising up at night ou Tongo Saa de Nelson Makengo prend un parti pris, celui de la lumière ou de son absence au sein du pays où les tensions sont multiples, entre manque de l’Etat comme de lumière, guerre civile et catastrophe climatique. 

 

Ce documentaire nous plonge dans les nuits de Kinshasa et leur pénombre ubique qui semble avoir remplacé le jour. Le réalisateur joue de ces rapports de lumière, laissant apparaître un écran noir ou seulement éclairé par une lueur sur nos écrans. Une lueur semblable à celle présente dans les cœurs des habitants face à la situation à venir. La luminosité du documentaire est au même degré d’éclairement que celle d’une salle de cinéma, un clair-obscur rassurant. 

 

Dans un pays où l’Etat semble avoir disparu, face à des populations locales subissant le manque d’électricité et les grandes vagues d'inondation, le contraste de luminosité semble aux antipodes. L’obscurité nous semble soudainement apaisante, tandis que la lumière nous oppresse. On s’habitue tout doucement à l’obscurité guidée uniquement par des lampes de fortune, tandis que les lumières chaudes qui apparaissent ponctuellement à l’écran nous agressent, avec feu d'artifice, explosion et autres. On finit par redouter la lumière, symbole d’une esthétique éphémère, ce qui est loin d’être le cas pour les habitants confrontés à cette sombre réalité où viol, vol et violence sont monnaie courante, à l’abris des regards.

 

L’ironie contrebalance avec le désespoir de la situation, on confond les arbres avec des bandits dans la nuit profonde, ce qui n’empêche pas la dangerosité de la situation pour chacune des âmes demeurantes, seules dans cette nuit noire.

 

« J’avance les yeux fermés, migrants des rêves » chantonne un des protagonistes. Ces mots puissants de sens nous rassurent : dans l’opacité il reste une place pour les futurs rêves présents tout autour de la nuit harassante qui ne semble jamais finir. 

 

Cet espoir d’un futur meilleur est caractérisé par la foi, centrale pour les habitants de Kinshasa. L’église semble transportée les âmes au-delà de la complexité quotidienne. Les corps se mélangent, les cris retentissent, les spasmes, une sorte de trance collective, comme possédée par la foi, permettant à chacun de s’évader et de ne pas perdre espoir, de garder cette croyance profonde, salvatrice. Le climax est la délivrance par un Dieu suprême, une lumière dans le noir. Après tout, comme le dit le prête au cours de la prière « Jésus-Christ est congolais » il viendra donc sauver les siens répondant à la quête suprême de lumière dans la vie des populations. 

 

Si Jésus ne sauve pas la population pour le moment, les locaux ont pris les choses en main, passant du cadre étatique à une action collective citoyenne. L’Etat semble équivalent à la clarté aux yeux du peuple, il est absent dans un monde empreint d'obscurité. Face à lui-même, le peuple doit faire un choix : agir soit même pour son propre bien. Donnant tort au paradoxe de l'action collective d’Olson, théorie selon laquelle un individu de manière rationnelle n’a aucun intérêt à agir pour l’action commune car il en bénéficiera quand même des fruits du travail des autres.

 

Le peuple va s’unir pour améliorer ses conditions de vie et se substituer à l’Etat. Les différents protagonistes vont eux-même acheter l'équipement nécessaire pour amener l’électricité, la lumière, dans les rues de Kinshasa. La multiplicité de la nature humaine va s’imposer malgré des difficultés internes pour agir à travers une sorte de contrat social, en excluant la notion d’Etat, affaiblie.

 

Une vague d’espoir est délivrée dans ce film en contrebalançant les rapports ordinaires de luminosité mais aussi d'action grâce à une force communautaire poignante. Ce documentaire touchant et captivant permet de mettre en exergue la lumière sur une situation à l’ombre des radars globaux, tout en relativisant grâce à une pointe d’humour satirique de la part des habitants. Se glisser dans l’obscurité d’une salle de cinéma pour se plonger dans cette œuvre cinématographique du réel nous entraîne dans une expérience immersive qu’il ne faut pas louper, alliant le 7ème art et la politique.

 

Manon Chatain